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Je suis Nathî Cordeiro, une travestie, personne en situation de handicap (PsH) et engagée dans un processus de réaffirmation identitaire autochtone, née et ayant grandi à Amambai (Mato Grosso do Sul), une ville frontalière avec le Paraguay. Mon parcours est marqué par la puissance des marges — celle des corps dissidents, des cultures autochtones en résistance et de l’art comme outil d’insubordination. Actuellement, j’étudie l’Architecture et l’Urbanisme à l’UNICAMP, et je suis diplômée en Dessin et Peinture à main levée. Mon action navigue entre l’université, l’activisme et la création artistique, toujours avec un regard intersectionnel qui tisse art, design et méthodologies décoloniales.
Mon parcours académique a commencé par une formation en Dessin et Peinture à main levée, mais c’est dans l’Architecture et l’Urbanisme que j’ai trouvé un terrain fertile pour penser les espaces comme des gestes politiques. J’ai choisi l’architecture car elle permet de transformer les territoires — aussi bien physiques que symboliques —, de matérialiser des luttes liées à l’occupation, à la mémoire et à l’appartenance. À l’UNICAMP, je fais partie du Bureau Modèle Mobile et de l’Atelier TRANSmoras, où je travaille sur des projets qui dialoguent avec l’art et la décolonialité. J’ai également participé à des recherches sur le genre et la sexualité au sein du CIEC et j’ai milité dans des collectifs tels que le Núcleo de Consciência Trans (NCT, Noyau de Conscience Trans) et Abya Yala Criativa (AYC), une plateforme de mode autochtone.
L’art a toujours été présent dans ma vie, mais ce chemin s’est développé naturellement. J’ai commencé avec le dessin et la peinture, puis en entrant dans le domaine de l’architecture, j’ai compris à quel point le design graphique et l’illustration pouvaient être des armes de lutte — que ce soit dans les mouvements étudiants, autochtones ou trans. Ce n’était pas totalement planifié, mais c’était une réponse aux besoins de communication et de résistance que j’ai rencontrés en chemin. Aujourd’hui, j’utilise l’art pour faire surgir des récits insurgés, que ce soit à travers des affiches, des illustrations ou des projets d’occupation de l’espace.
Mon identité est le cœur de mon travail. En tant que travestie autochtone, je porte des mémoires de résistance qui se traduisent dans des esthétiques dissidentes. Mes créations interrogent les normes coloniales, célèbrent les corps-territoires et revendiquent des espaces pour des existences marginalisées. Pour moi, l’art est un acte politique : chaque trait, chaque couleur, chaque composition doit porter cette ancestralité et cette insoumission.
L’art est un outil fondamental de dénonciation, de mémoire et de célébration. Il traduit des luttes complexes en récits accessibles, relie les générations et redonne du sens à des symboles colonisés. Pour les peuples autochtones, l’art est une forme de résistance vivante — que ce soit dans la peinture corporelle, les graphismes, la mode ou le design contemporain. Par lui, nous réaffirmons notre existence, nous combattons les stéréotypes et nous construisons des futurs possibles.
Je vois un mouvement autochtone de plus en plus pluriel et renforcé, avec des jeunes, des femmes et des personnes LGBTQIAPN+ qui occupent des espaces. Nous avons avancé en termes de visibilité et d’organisation, mais les défis restent immenses : l’expansion de l’agro-industrie, les violences contre les leaders autochtones, et le racisme structurel. La réappropriation des territoires et la lutte pour des politiques publiques sont urgentes. Mais je vois aussi une immense puissance créative, car nous utilisons de plus en plus l’art, le droit et la technologie pour réécrire la narration coloniale.
Comme nous le savons bien, les peuples autochtones sont les gardiens ancestraux de la biodiversité, et aucune politique de conservation ne pourra être efficace sans leur protagonisme. L’Amazonie et les autres biomes existent encore aujourd’hui parce que les peuples autochtones les ont protégés pendant des siècles. Le défi, c’est de combattre l’idée selon laquelle « développement » rime avec destruction, et de montrer que nos pratiques traditionnelles sont de véritables solutions à la crise climatique.
Le logo que j’ai créé pour le CFBBA construit un pont entre les mondes. Le japu, avec sa queue colorée volant au-dessus de la canopée, représente le dialogue entre les savoirs franco-brésiliens et la sagesse ancestrale amazonienne. Son dégradé de couleurs symbolise cette alliance transatlantique pour la biodiversité, où savoir scientifique et connaissance traditionnelle se rencontrent en harmonie.
Le vol du japu, oiseau qui ne reconnaît pas les frontières, reflète l’esprit du CFBBA : une institution qui dépasse les limites géographiques pour protéger l’Amazonie, en honorant les mémoires et les histoires qui l’habitent. Le design réaffirme un principe fondamental : toute recherche et toute action doivent être menées avec les peuples de la forêt, jamais sur eux.
Plus qu’un symbole, ce logo est un engagement visuel – pour une science collaborative, pour une forêt vivante et pour les savoirs traditionnels qui, unis, peuvent construire un avenir plus durable. Le japu vole pour nous rappeler que conserver l’Amazonie, c’est avant tout valoriser ses gardiens originels.
Je rêve de projets capables de transformer le regard que la société porte sur les corps dissidents — car ce sont nous qui portons en nous les révolutions. Je veux que mes créations soient des ponts, des outils qui révèlent au monde que nous méritons d’être respectés et d’avoir nos droits garantis. Mon travail existe pour ouvrir des chemins, pour que les miens — travestis, autochtones, personnes en situation de handicap, et toutes les existences marginalisées — puissent non seulement survivre, mais s’épanouir.